Lettre ouverte des auteurs de Bande Dessinée à Madame la Ministre de la Culture
Madame la Ministre,
Le temps est-il venu de nous dire adieu ?
Depuis des années, sans bruit, sans révolte, nous survivons par
passion pour notre métier, pour nos histoires et ceux qui les lisent,
mais aujourd’hui, nous voyons notre fin approcher et nous refusons de
nous y résigner.
En mars dernier, à l’occasion du Salon du Livre de Paris, le Conseil Permanent des Écrivains
avait tiré la sonnette d’alarme, exposant de nombreux motifs
d’inquiétude sur l’avenir immédiat de notre profession. À cela s’ajoute
la paupérisation croissante qui frappe les auteurs, que ce soit au
travers des baisses d’avances ou de pourcentages, ou par l’apparition de
formules numériques illimitées qui ne rémunéreront personne, sinon les
diffuseurs.
Alors qu’il semblait impossible d’aggraver davantage la situation, le
RAAP vient de nous annoncer abruptement, par simple courrier et sans
consultation d’aucune sorte, qu’à compter de janvier 2016 nous allions devoir cotiser à hauteur de 8 % de nos revenus
pour financer notre retraite complémentaire obligatoire. Actuellement
les auteurs peuvent cotiser à cet organisme privé en ne versant qu’une
cotisation minimale de 200 € par an.
Madame, nous vous prions de considérer avec gravité cette dernière
raison de notre juste colère autant que de notre dégoût. Dans quel autre
métier inflige-t-on des baisses de revenus aussi importantes à des
travailleurs déjà fragilisés ? Des « travailleurs de l’esprit » qui ne
bénéficient d’ailleurs pas des avantages que peut offrir le régime
général (chômage, congés payés, 13e mois)...
Cette réforme soudaine et irréfléchie, les auteurs n’en veulent pas.
Ils la rejettent au motif premier qu’elle est INACCEPTABLE autant
qu’inapplicable. Même si nous sommes évidemment favorables à un système
solidaire des retraites, et ne sommes pas à ce titre opposés à une
réforme juste, mesurée et concertée, croyez-vous que les auteurs
pourront, en plus de leurs autres sacrifices, se priver de 8 % de leurs
revenus afin de s’acquitter de nouvelles cotisations sociales ? Ceci
représente l’équivalent de presque un mois de revenus, alors que la
plupart d’entre eux ne gagnent pas assez pour payer des impôts et
peinent à boucler leurs fins de mois. Nous vous rappelons, Madame la
Ministre, que le revenu de la moitié des auteurs de BD se situe (hélas)
bien en dessous du SMIC. Il est urgent que cette réalité soit prise en
compte, avant de réformer quoi que ce soit.
Depuis l’annonce de cette réforme, des auteurs, certains très
précarisés, d’autres ayant vendu des centaines de milliers de livres,
ont déclaré qu’ils abandonnaient le métier. Ils sont écœurés, fatigués
et ne croient plus en des lendemains meilleurs alors qu’ils sont les
premiers acteurs, et pourtant les plus mal lotis, de la chaîne du livre.
Au rythme où vont les choses, leur exemple sera bientôt suivi par de
nombreux confrères.
Dans un pays où le taux de chômage est croissant, nous créons notre
propre emploi. Mieux, nous sommes à l’origine de milliers d’autres . Sur
le plan économique, l’industrie culturelle est la quatrième plus
rentable de France, comme votre ministère s’en est récemment
enorgueilli. Sans parler de la vitrine qu’il représente à l’étranger, le
marché du livre représente 80 000 emplois et 5,6 milliards d’euros.
NOUS, AUTEURS, sommes à l’origine de cette richesse, de cette dynamique.
Nous demandons dès à présent la suspension de l’application de cette
réforme et nous vous invitons à réfléchir et à faire réfléchir AVEC NOUS
à la meilleure façon de conduire cette réforme de financement des
retraites complémentaires pour qu’elle aille dans le sens d’un réel
progrès social.
La piste qui nous apparaît comme la plus évidente serait d’envisager
un réel financement de la couverture sociale des auteurs par les acteurs
de la chaîne du livre qui bénéficient le plus du travail de ces
professionnels, comme c’est le cas dans d’autres domaines artistiques. À
titre d’exemple, pour le RACD, les producteurs financent en partie la
cotisation des auteurs, sans affecter le niveau des rémunérations
nettes.
Notre lettre exprime les opinions majoritaires du monde de la bande
dessinée, opinions partagées par bien des artistes et des écrivains avec
qui nous comptons agir très prochainement.
Les auteurs signataires de cette lettre souhaitent, isolément ou à
travers les représentants de leurs organisations professionnelles,
engager une action de concertation constructive avec leurs
interlocuteurs (Ministères concernés, RAAP, Agessa/MDA, SNE...), à
partir du moment où des garanties d’écoute réciproque existent.
Dans le cas contraire, nous envisageons, dès septembre 2014,
l’organisation d’actions collectives et médiatiques de blocage ou
d’opposition par toutes les voies légales autorisées. Les idées ne
manquent pas. Après tout, c’est notre métier.
Les auteurs.
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